L’usine des Hautes Bornes

Carrière des Hautes Bornes
Le lieu-dit des Hautes Bornes évoque selon le Laboratoire départemental d’Archéologie, un mégalithe ou une borne antique. Ce nom désigne une zone comprise approximativement entre l'avenue Lénine, la ligne RER et le Chaperon vert. Elle s’étend des deux côtés de l’avenue Jean Jaurès, ancienne « route Stratégique du fort de Montrouge », jusqu’au « pont des Hannetons » (actuel pont au-dessus de l’A6). Fernand Bournon, dans l’Etat des communes à la fin du XIXe siècle, décrit les Hautes Bornes comme formant une « agglomération à peu près distincte d’Arcueil », c’est à dire du vieux centre entourant l’église et l’ancienne mairie. En fait, son développement se fait principalement le long de l’avenue Laplace, entre l’actuelle mairie et la Vache noire. Des carrières se trouvent jusqu’au 19ème siècle entre l'avenue Jeanne d’Arc et la rue Ernest Renan. La poussière blanche qu'elles dégagent (une rue proche du pont des Hannetons sera appelée rue Blanche) et le passage incessant des chariots de pierre rythment la vie du quartier. Comme un peu partout dans la ville, elles sont converties en champignonnières dans les années suivant la guerre de 1870.

L'usine des Hautes Bornes























L'usine des Hautes-Bornes de la Compagnie Lesage s'installe dans la commune d'Arcueil à proximité d'un dépotoir créé en 1852, située chemin des prêtres, l’actuelle avenue V.I Lénine. L'usine et le dépotoir occupaient un emplacement qui correspond aujourd'hui à celui de la cité du Chaperon vert.  La Compagnie Lesage s'installe en ces lieux à la faveur d'une autorisation accordée (en dépit de l'avis défavorable du préfet de police) à titre dérogatoire par le Conseil d'État. Elle fabrique du sulfate d'ammoniaque à partir de vidanges de Paris par dessiccation à froid (déshydratation des déjections) ce qui incommode les proches voisins, puis par traitement à chaud. En 1879, quand l'appareillage de l'usine est augmenté, la Préfecture de police voit dans ces extensions une nouvelle dérogation aux conditions de l'autorisation et s'y oppose. Le Conseil d'État, dont plusieurs membres sont actionnaires de l'usine, déboute la Préfecture et ratifie les modifications apportées.
Plusieurs plaintes, pétitions émanant de médecins, de riverains, de voyageurs écœurés lors de leur trajet sur la ligne de Sceaux par les émanations putrides se faisant sentir lors du passage des trains, ou encore par les ouvriers du curage des égouts déplorant l'infection des liquides non traités provenant de l'usine, sont relayées par les conseillers municipaux de la ville et des communes voisines. Le maire d'Arcueil-Cachan, Émile Raspail, combat pendant dix années l'usine et finit par démissionner arguant le régime de faveur dont bénéficie à la Compagnie Lesage. Après une fermeture de quatre ans vers 1881, elle ré-ouvre, avant que son activité ne cesse définitivement en 1892.
 
Plus de 7 300 établissements industriels soumis à autorisation ou déclaration sont recensés dans le département de la Seine à la fin du XIXème siècle. Sur le territoire de l’actuel Val-de-Marne, seules les communes de Gentilly, d’Arcueil-Cachan et d’Ivry-sur-Seine accueillent plus de 100 établissements classés. Les émanations incommodes produites par ce nouveau paysage industriel n’en finissent pas de mécontenter la population qui multiplient les plaintes et protestations. En 1880, année où l’on remarque un important pic de pollution dans le département de la Seine, le préfet de police va créer plusieurs commissions spéciales chargées d’inventorier et de classer les principaux foyers d’émanations infectieuses. Parmi les plus de 300 usines de vidanges comptabilisées à l’Est de Paris, certaines sont localisées dans le Val-de-Marne. Parmi elles, on retient surtout l’usine des Hautes-Bornes à Arcueil, reconnue comme l’un trois sites les plus pollués du département de la Seine. 

Les excrétas de Paris traités dans l'usine de sulfate des Hautes Bornes étaient utilisés dans l’agriculture comme engrais. La question des odeurs infectes émises par l’usine était un sujet bien connu des riverains. Le problème fut soulevé par le conseiller général de la Seine Benjamin Raspail et par le maire d’Arcueil-Cachan et conseiller général Émile Raspail, notamment en 1880, année d’une canicule, où dégoûtée par les odeurs, nauséabondes, putrides, écœurantes, ignobles, insupportables, abjectes et répugnantes, l’opinion publique, la presse et les politiques s’indignèrent du maintien d'une telle pollution industrielle. Les émanations de l'usine des Hautes Bornes à Arcueil vont faire l'objet de plaintes répétées des maires d'Arcueil-Cachan, Gentilly, Montrouge et du XIVe arrondissement de Paris. En novembre 1892, le conseil municipal de Montrouge votait la relégation du dépotoir des Hautes Bornes et demandait la fermeture de l’usine. La même année, deux cas de choléra étaient apparus à proximité, dans une famille dont le père travaillait à l'usine des Hautes Bornes. Sans la surveillance exercée par la municipalité et le service d’hygiène d’Arcueil présidé par le Dr Durand, une épidémie aurait pu être à déplorer.

L'usine vue du ciel
Concrètement, les matières de vidange amenées par conduites souterraines du dépotoir à l’usine, étaient traitées par la chaux, les eaux qui en résultaient, débarrassées des matières organiques, étaient déversées par un égout latéral à la Bièvre dans la Seine. Une surveillance de la qualité des eaux était exercée par la Préfecture de police. En 1884, les contraventions étaient nombreuses, mais à partir d’avril 1890, elles tombèrent à zéro (selon le secrétaire de la préfecture de M. Lépine).
L'engrais était préparé à partir des produits de vidanges, urines et excréments recueillis dans les fosses d'aisances de Paris et transporté à l'usine. Ces fosses furent d’abord de simples trous creusés dans les cours des immeubles, puis dans des constructions maçonnées. Stockées plus ou moins longtemps, elles étaient enlevées par des compagnies privées ou même par les cultivateurs eux-mêmes. À l'usine, les matières putrides étaient déversées dans de grands bassins où elles formaient, en raison de leur densité relative, trois couches. La première à la surface donnait une mousse que l'on laissait sécher. La couche intermédiaire, liquide, s'écoulait dans une suite de bassins. Se déposait alors par décantation, un produit qui, traité, fournissait le sulfate d'ammoniaque. La couche inférieure solide, séchée au soleil, donnait l'engrais dit « poudrette ».

L'usine des Hautes Bornes avec au premier plan la Villa Mélanie














Les odeurs émises par l’usine des Hautes bornes d’Arcueil étaient tristement célèbre, et pour cause, elles pouvaient répandre ses nuisances jusqu’au jardin du Luxembourg, alors imaginez une seconde ce qu’il en était pour les habitants de l’avenue Jean Jaures ou de l’avenue Laplace.

Au moment de la construction de la citée du Chaperon Vert, l’usine des Hautes Bornes n’était évidemment plus en activité, mais ses bâtiments étaient encore debout. L'usine jouxtait la Villa Mélanie, l’un des derniers lotissements insalubres de la ville. 

Il semble qu’il n’y ait pas eu de travaux d’assainissement du terrain avant la construction de l’école et des logements.

L'usine des Hautes Bornes sur une illustration du parc Montsouris de 1869 (cliquez sur l'image)